En route vers les fjords, La Kepler Track

Publié le par axel briffault

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La voiture roule le long de la côte, nous rapprochant des montagnes. Le soleil brille, le moral est au beau fixe. Malgré le départ tardif, nous prenons notre temps. Un premier arrêt à Clifden pour regarder le vieux pont suspendu bâti à la fin du 19ème siècle, tout en métal et en bois. Quelques kilomètres plus loin, exploration de cave. Cela faisait longtemps. Pieds nus, comme pour la première fois dans Arthur Pass, nous entrons par un trou sombre perdu entre les herbes. Les boyaux étroits succèdent aux couloirs un peu plus haut. De temps en temps une salle émerge. Nous éteignons alors nos lampes pour profiter de la lumière des glow worms qui sont légion dans cette grotte. Il est difficile de décrire comment ces constellations sous-terraines et la lumière bleutée qui s'en dégage peuvent être apaisantes. Cela nous fait presque oublier l'inconfort de nos pieds nus sur les galets inégaux qui pavent le sol. Jasper videra la batterie de sa lampe à vouloir photographier les filaments qui servent aux « vers » à piéger leur proies, nous finirons donc l'exploration munis d'une lampe pour deux. Nous repérons quelques formations intéressantes, dentelles de pierre en stalactites et en colonnes. La marche semble durer une éternité dans l'absence de temps qui caractérise les sous-terrains. Nous croisons une mare d'une profondeur incertaine. Sur la gauche, ma frontale perce suffisamment pour dévoiler un passage qui nous évitera une éventuelle nage. Nous passerons ensuite quelques autres flaques avant de trouver des échelles postées entre deux boyaux et nous retrouvons la chaleur du jour, au bout d'une heure et demi d'obscures errances. Nous pique-niquons aux marais de Rakatu avant de faire un arrêt photo sur la rivière que les fans de Tolkien appellerons Anduin, les cartographes préfèreront Waiau, et nous passerons la nuit cachés dans les marais des morts, secs à cette période de l'année, à deux pas de Te Anau. Lors de ce que nous espérons être notre dernier camping sauvage avant l'acréditation self-contained, nous sommes cachés de l'autoroute par des buissons épais et les nuages gris que le cyclone Pam repousse jusqu'ici. Nous espérons que cela ne nous gâchera pas la promenade à venir. Nous préparons les sacs pour la randonnée de quatre jours qui attend et dormons tôt pour un réveil qui précédera de peu l'aurore.

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Petit déjeuner devant les portes du centre d'information du Fjordland National Park. Dès l'ouverture nous allons retirer nos tickets, et je prends des nouvelles du temps. Pas de chance de ce côté là. A l'influence cyclonique succéderont les vents antarctiques que les perturbations de la tempête auront hâtés cette année. Nuages donc, et froid. Parfois des éclaircies mais pas pour les sommets. Nous partons néamoins vers le parking de la randonnée tout d'abord, puis dans le bois de Beechtrees qui borde le lac Te Anau. Nous marchons le sous-bois vert, composé de fougères, puis de mousse, et de fougères à nouveau. Nous quittons les bords du lac à 200m d'altitude pour attaquer la côte la plus longue du circuit. La forêt n'en fini pas. Quelques gouttes tombent des feuilles alors qu'un brouillard s'intensifie. Nous sommes dans les nuages. Une falaise calcaire vient rompre la monotomnie de l'ascension forestière. Nous la contournons, grimpons quelques marches, et continuons à monter. Les fougères ont disparu, seules les mousses résistent, puis disparaissent. Les arbres ont changé de forme et les lichens pendent comme des barbes vénérables à leurs branches noircies d'humidité. En ajoutant le brouillard dense des nuages, la vue évoque un mauvais film d'épouvante. La végétation rabougrie ne me protège plus du vent. Je renfile donc ma veste ôtée auparavant, réchauffé que j'étais par l'effort. Quelques pas plus loin, nous franchissons la « bushline » et découvrons la partie alpine de la boucle. Le vent nous attaque, chargé d'une pluie transversale dans ce monde blanc où le haut semble ne plus être qu'un souvenir. Je remarque néamoins quelques fleurs blanches qui ressortent malgré tout sur les tussocks jaunâtres. La terre ferrique parcourue de veines ocres attire également mon attention. Et tout à coup, une grande forme grise se détache dans le blanc. Le premier gîte est déjà là et nous entrons dans la Luxmore Hut, 1100 mètres d'altitude, à midi et demi, alors que les marcheurs les plus tardifs du jour précédent se préparent à traverser le coton qui règne dehors pour l'abri suivant. Nous reprenons des forces. Riz, crumble, brownie, biscuits... Mon sac à dos s'allège à vue d'oeil. On se réchauffe un peu près du poèle alors que d'autres randonneurs arrivent et nous renfilons imper et chaussures pour aller explorer les grottes à quelques centaines de mètres de là. L'aventure sera courte, nous ne pourrons avancer que d'une centaine de mètres avant de devoir rebrousser chemin. Retour au refuge, je prépare un thé et nous attendons cinq heure, moment ou le ranger de fonction, Peter Jackson (pas lui, un autre), se signalera. Nous ressortons, accompagnés cette fois d'un petit groupe d'une dizaine de personnes. Peter nous parle des plantes qui poussent dans l'alpage, de la façon dont elles survivent aux rudes conditions climatiques auxquelles elles sont exposées. Il nous explique que toutes les plantes natives ont des fleurs blanches car il n'existe pas de pollénisateurs spécialisé dans les alpages. Il nous montre comment manger le tussock, aliment de base des takahës, oiseaux à l'apparence préhistorique dont la dernière population sauvage vit sur le massif d'en face, invisible. Il nous montre également quelques plantes des sous-bois et je retiens un buisson aux baies blanches dont le parfum sucré se mêle délicatement à un goût de nectar. La vue s'est un peu dégagée sur le lac en contrebas. On peut deviner la rive de Te Anau et les prés qui l'entourent. Puis nous regagnons la chaleur de la salle commune bondée ou nous écoulerons le temps avant de gagner nos duvets dans le dortoir froid qui ne bénéficie pas de la chaleur de la salle abandonnée presque à regrets.

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Second jour, réveil au son du vent. Je remarque que la vue est plus claire que la veille, mais cela ne dure même pas jusqu'à ce que Jasper me rejoigne. Mise à jour du bulletin météo à 8h30. Nuages, chutes de neige à 1100 mètres, point de gelée à 1200, vent de sud est, bon baisers d'antarctique à 40km/h. On attend jusqu'à dix heures avant de partir. Autant dire que ce n'est pas vraiment le sourire au lèvres que nous empilons les couches de vêtements chauds avant de les protéger de nos impers. On commence par achever l'ascension du mont Luxmore qui nous emmènera 400 mètres plus haut. L'avantage de la purée de pois qui nous entoure, c'est qu'on a l'impression d'être seuls au monde sur l'autoroute à marcheurs que nous fréquentons. Un autre avantage, c'est qu'à défaut de pouvoir admirer le paysage, on se concentre sur les beautés plus délicates. Des fleurs givrées sur fond de pierrier noir, les stalactites sur le bord du chemin... Nous avançons donc en regardant tout ce qui nous entoure avec plus d'attention que nous n'en aurions eu si les montagnes et les fjords alentours s'étaient offerts à nous. Puis nous redescendons de 300 mètres, la vue se dégage sensiblement, on devine les sommets voisins et le fjord sud du lac Te Anau. Nous passons un col, la neige commence à tomber. Pas de quoi fouetter un chat cependant. On remonte de 200 mètres et le soleil se fait sentir avant de percer vraiment pour nous dévoiler la crête que nous longerons et ses environs. Nous admirons les montagnes qui se battent avec les nuages. La descente commence avec à gauche, une vallée relativement dégagée avec une vue du lac Manapouri et à droite, la crête fumant une rivière de nuages cachant la vallée en contrebas. C'est par la droite que nous regagnons la forêt. C'est comme changer de monde. Les nuages sont là mais tout est paisible. Les oiseaux chantent et le soleil perce même, parfois, à rayons obliques. Nous traversons quelques torrents, et descendons, encore et encore jusqu'à apercevoir le refuge d'Iris Burn entre les arbres. Le bâtiment donne sur une clairière dégageant la vue sur la vallée encaissée et couverte de nuages dans laquelle nous sommes à présent. Nous gagnons l'abri, 300 mètres d'altitude, à 14h30. Un quart d'heure plus tard la pluie tombe drue sur les marcheurs qui nous suivent. Nous repartons quelques minutes pour regarder la chute d'Iris Burn, puis je regagne le refuge alors que Jasper part planter sa tente. Je sympatise avec d'autres randonneurs, français, espagnols, allemands, brésiliens, américains. Jasper me rejoint pour dîner puis repart pour le camping. Matt, ranger canadien, se manifeste. Il nous félicite, le plus dur est passé, la suite se fera sous bois, il y fera un peu plus chaud et on bénéficiera d'un parapluie naturel. Quand vient le relevé des tickets, on discute un peu des randos que je veux faire dans le Fjordland tout proche et il m'encourage vivement dans mes choix. Le temps vient de se coucher pour une nuit plus chaude que la précédente. A 3 heures du matin, j'entends à nouveau l'appel du kiwi à travers les ronflements qui m'ont réveillé. Trop loin cependant pour que cela vaille la peine de sortir du duvet...

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Réveil de bonne heure le troisième jour. Prenant en compte notre vitesse de marche, nous avons décidé de parcourir les 32 derniers kilomètres en une journée au lieu des deux prévues initialement. Nous partons sous les nuages gris et avons tôt fait de gagner le couvert de la forêt. Les dénivelés de la marche du jour seront plus petits, donnant une sensation de platitude dans le parcours que nous effectuons. Je prends mon temps et laisse Jasper caracoler en tête. Nous sortons des bois pour un moment pour traverser le big split. En janvier 1984, il est tombé en deux jours l'équivalent d'une année de précipitations londoniennes. Ceci a provoqué l'affaissement de 30 hectares de terrain devenus une zone marécageuse. Il pleut un peu alors que je retrouve la forêt. J'ai perdu de vue mon compagnon mais le sentier est tellement bon qu'il n'y a pas de quoi s'en faire. Je marche seul en compagnie du chant des oiseaux auquel vient peu à peu se mêler le grondement du torrent que la voie longe plus ou moins. A chaque fois que les eaux de l'Iris Burn apparaissent, je tente de percer les arbres pour essayer d'appercevoir peut-être un Whio, canard siffleur à bec bleu endémique de l'île du sud. Mais pas de signes de vie. Les bois perdurent, je retrouve parfois Jasper qui m'attend de temps en temps. Contrairement à moi, il éprouve le besoin de parler pendant la marche. Au bout de trois heures et demi, le grondement du torrent devient murmure puis le terrain devient vraiment très plat. Nous découvrons les rives du lac Manapouri, plages sableuses bordées de forêts denses et quelques temps plus tard, nous arrivons au refuge où nous étions sensés passer la nuit. Il est une heure moins le quart, on prend une pause déjeuner sous le soleil qui apparaît. Jasper laisse respirer ses pieds et je remarque les ampoules sur ses talons. Il me dit que c'est comme ça depuis le premier jour et que ça s'apaise dans la nuit. Le souci est qu'aujourd'hui nous couvrons une distance double. Je lui met un pansement pour protéger du frottement et éviter que cela ne s'agrave trop avant de porter des soins plus adaptés de retour à la voiture et nous repartons. Il cours toujours, l'inconfort doit être tolérable. Nous entamons la partie marche journalière de la great walk et nous croisons à contre-sens des marcheurs équipés plus légèrement. Je discute parfois avec certains d'entre eux. La forêt s'arrête pour laisser place à un petit marais, puis la forêt à nouveau. Je croise un ranger équipé d'une pelle et d'une hache et nous parlons un peu de la façon dont il prend soin du sentier. La marche continue encore et encore sous les bois. La rivière Waiau apparaît par intermitences, nous commençons à la remonter. Je trouve le pont qui traverse la rivière pour rejoindre le parking de rainbow reach d'où les marcheurs journaliers partent ainsi que des navettes faisant le lien avec l'autre parking, celui où je suis garé. Je regarde l'heure, 16h10, j'ai un peu traîné, il reste dix kilomètres de rivière à remonter. J'accélère le pas, monte, descend, remonte toujours sous les bois, la rivière sur la droite parfois. Au bout d'un moment, j'en ai un peu mare de cette randonnée interminable dans cette forêt infinie. A chaque boucle de la rivière, je commence à guetter l'apparition des portes de contrôle du débit qui la séparent du lac Te Anau et indiquent sans faille la proximité de la voiture. Au bout d'une heure et demi, elles apparaissent et mes pieds qui criaient grâce se sentent pousser des ailes. Six heures moins dix, après huit heures de marche (sans compter la pause) je retrouve enfin Bellbird et Jasper qui arrache son pansement et la peau avec. Le mal est fait, il n'y a plus qu'à laisser sécher. Je sors les derniers biscuits et la fin de crumble de mon sac. Nous finissons tout goulument. Nous allons piquer une tête à tour de rôle dans le lac tout proche pour se décrasser alors que l'autre vide son sac et range la voiture. Puis nous repartons sur notre campement sauvage. Rachelle, de l'association des campeurs de nouvelle zélande, n'a pas donné de nouvelles nous ne pouvons donc pas bénéficier du campement réservé aux véhicules certifiés « self-contained ».

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Jour quatre, réveil aux aurores, il fait froid, très froid. Il a gelé dans la voiture on se réchauffe avec un porridge et nous partons occuper la librairie proche pour charger les appareils électriques et profiter un peu d'internet. Le soleil brille mais le bulletin météo n'est pas encourageant pour les jours à venir. Les ampoules de Jasper encore en rémission ne m'encouragent pas à envisager la randonnée que je veux faire, et qui nécessite un temps clément. Nous avons donc du temps à perdre en ville, nous refaisons nos provisions puis pique-niquons au bord du lac. Le temps vient enfin de partir pour le fjord Milford Sound.

Enfin une mise à jour! Il faut dire que les connexions ont été difficiles ce dernier mois... J'ai quelques articles et photos en réserve mais je vais les distiller au compte goutte, pour vous faire mariner un peu plus encore... J'ai un côté sadique

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Z
c'est vraiment comme dans la quête de l'anneau , je le lis et le relis et à chaque fois tu me transporte sur ces sentiers où j'imagine golum! merci pour cette belle aventure
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N
Je me rappelle très bien de ce dernier jour sur la Kepler Track, nous l'avons fait séparé nous aussi, moi grommelant sur cette route interminable comme quoi je n'avais jamais eu les cheveux aussi gras et Yann parti devant concentré à compter ses pas...<br /> Mais le reste, évidemment magique comme tu le raconte. Toujours une très belle narration !<br /> <br /> Un gros bisous à toi, et un bon rétablissement aux pieds de Jasper (s'il a eu recours au docteur Axel pour lui mettre son pansement c'est qu'il devait être dans un drôle de sale état !!!)<br /> Bon Mildford sound et je vous souhaite un temps dégagé et plein de dauphins et d'albatros!
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