Kahurangi et Abel Tasman

Publié le par axel briffault

Kahurangi et Abel Tasman
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Kahurangi et Abel Tasman

Après une centaine de kilomètres sur une route sinueuse nous arrivons au coucher du soleil à Karamea, petit bourg sans grande activité hormis quelques fermes misérables essayant d’élever ce qu’elles peuvent sur un sol peu généreux. La stratégie locale pour le développement économique semble être de profiter du départ tout proche de la Haephy Track, l’une des neuf great walks, pour attirer les touristes et favoriser si possible le tourisme de luxe. C’est donc dans cette logique que notre nouveau woof se situe dans un duo de bâtisses fraîchement repeintes estampillées d’une pancarte à la police se voulant sophistiquée indiquant « Holyday House ». Julia, la propriétaire des lieux, n’est pas là. C’est Ander, le « manager » espagnol qui nous accueille, et nous explique les règles édictées par la reine mère. Ici, on fait sa propre cuisine, les courses, la lessive… tout soi-même et on travaille quatre jours pendant neuf heures avant de profiter de trois jours de congé. Voyant le côté borderline où l’on interprète les règles du woofing pour les tirer au maximum en faveur d’un hôte peu scrupuleux, je négocie pour un jour de travail contre un jour de congé, profitant de l’anglais très moyen d’Ander pour le lasser de discuter. Nous faisons la connaissance de Thomas, un allemand fort sympathique qui ne parle malheureusement qu’un anglais limité et d’un polonais qui ne s’adressera à nous que pour nous dire qu’il aurait fait mieux… Nous allons cuisiner un repas vite fait avec les rares conserves trainant dans les placards puis nous couchons en espérant qu’au moins, le travail sera intéressant.

Le lendemain nous sommes assignés au nettoyage d’un bout de terrain envahi de bambous. La matinée passe en effeuillant les tiges coupées, puis en les groupant par dix avant de les lier et de les entreposer sur une terrasse extérieure. L’après-midi, Ander nous apporte des outils médiocres en s’excusant d’avance : « j’ai pas mieux » et nous laisse nous débattre avec de denses ilots de pousses de bambou que nous devons déraciner. Les pelles ploient, la pioche casse, la fourche perd une dent, la tête de la hachette s’envole, le bambou ne bronche pas… Au bout de deux heures sans résultat autre que la destruction systématique des outils, nous confrontons le maitre d’œuvre à la réalité. Une demi-heure de discussions plus tard, nous l’avons convaincu d’appeler Julia pour négocier la venue d’un tractopelle et nous démolissons le composteur vermoulu pour déplacer son contenu afin de libérer la voie à une potentielle machine. A la fin de ce travail, il nous faut encore tuer une heure. Nous réclamons une tâche auprès de notre manager qui nous dit « il y a bien un travail, mais c’est très dur ». Et nous voilà muni de masques et de nos lampes personnelles à ramper sous les toits chauffés toute la journée par le soleil estival, pour poser de la laine de verre afin d’isoler la future habitation de luxe… « c’est moins cher ». Nous comprenons ainsi pourquoi les maisons kiwi vieillissent très mal. Le lendemain, après une matinée de tâches ménagères, nous entrainons thomas pour une série de randonnées dans l’Oparara bassin à la limite occidentale du Kahurangi national parc. Après 14 kilomètres de piste montagnarde, nous commençons par longer la rivière sombre, colorée par les tanins des végétaux de la forêt luxuriante qui nous entoure. Des arbres impressionnants dominent les frondaisons de leurs branches biscornues d’où pendent des lichens abondants, donnant à la forêt un air sauvage et mystérieux. Les chants des oiseaux dominent celui de l’eau pourtant toujours présent alors que le torrent disparait parfois pendant plusieurs centaines de mètres. Au bout du sentier, l’Oparara river sort d’une arche impressionnante du même nom que la rivière qu’elle domine. Il s’agit de la réminiscence d’un réseau de cavernes aujourd’hui principalement effondré. Nous continuons un peu notre chemin en suivant une sente de plus en plus sauvage jusqu’à ce qu’un passereau nommé toutouwai, ou bellbird pour les anglophones, s’offre, curieux, à nos objectifs. Puis nous rebroussons chemin vers le parking d’où part une autre promenade à travers les mêmes bois sans âge et nous découvrons Miror Tarn, un lac sombre reflétant les arbres environnants sur sa surface lisse, et Moria Gate, une autre arche survivante du réseau de cavernes initial. Bien plus modeste que celle découverte plus tôt, je la trouve personnellement beaucoup plus jolie. Nous bouclons la boucle et retrouvons une seconde fois le parking. Nous décidons de poursuivre à pieds les deux derniers kilomètres de piste qui nous ferons découvrir deux petites cavernes. La première, crazy paving, n’est pas très amusante et ne nous dévoile qu’un sol d’argile morcelée sous forme d’un pavement géant qui explique le nom de la cave. La seconde, canyon box, nous réserve des sales plus imposantes, de petites colonies de glow worms et, au moment du retour, nous découvrons une belle surprise : un cocon d’araignée cavernicole !

Nous redescendons l’interminable piste chaotique et annonçons à Ander que nous repartons le lendemain matin. La route sinueuse qui isole ce bout de monde perdu loin de tout nous ramène à Westport, ville ressemblant à Greymouth autant par sa forme que son histoire parsemée, elle, de séismes, le salut du bourg a été l’ouverture du premier port commercial de la côte ouest. Nous nous arrêtons pour faire un peu de shopping avant de longer la rivière Buller qui nous amène vers l’est, en longeant le sud du parc Karuhangi. Un petit arrêt pour admirer le canyon qu’enjambe le plus long pont suspendu de Nouvelle Zélande dont la traversée coûte dix dollars et nous allons trouver notre campement du soir après la première journée reposante depuis notre départ. L’idée de camper sur ce terrain proche du torrent nous avait semblé bonne jusqu’au crépuscule où des légions de sandflies nous agresseront malgré le répulsif qui nous couvre. Nous finirons comme tous les campeurs, cloitrés dans les voitures à préparer la suite du voyage.

La journée suivante ne sera pas beaucoup plus active. Nous continuons la route jusqu’à Richmond. Les forêts luxuriantes laissent place à des étendues d’épicéa parfois tondues sur plusieurs hectares à flanc de colline dans une gestion de foresterie qui me laisse perplexe. Puis nous remontons entre côte et vignes vers Mapua, petit port de plaisance séparé de Rabbit Island par un petit bras de mer. Nous y passons un instant, errant dans les boutiques d’artisanat et d’antiquités. J’ai un instant l’impression de retrouver un parfum de Provence, entre les cigales qui stridulent et l’odeur de savons de Marseille émanant d’une échoppe au nom francophone, Le Havre. Nous repartons vers le Nord, faisons une petite halte à Motueka, la ville du secteur, pour admirer la piscine d’eau de mer érigée pour protéger les baigneurs des requins, à une époque où le comportement des squales était encore mal connu, puis poursuivons vers Kaiteriteri où nous pique niquerons sur l’une des fameuses plages au sable doré et aux eaux turquoises de la baie de Tasman. Encore un peu de route et une petite promenade qui nous dévoilera les insectes tapageurs qui occupent le fond sonore depuis plusieurs heures, avant de nous amener vers une plage de carte postale, dans une petite baie où règne apple split, un gros rocher sphérique fendu par son milieu. Nous partons ensuite vers notre campement du soir d’une légalité toute relative. Il s’agit en effet d’un campement gratuit équipé de toilettes sèches réservé aux véhicules… munis de toilettes intérieures. Cette logique s’appliquant à tous les emplacements gratuits des environs d’Abel Tasman, nous prenons le pari d’y dormir avant d’aller déjeuner aux aurores du pain allemand de Jasper, de pommes et de kiwis empruntés dans un des nombreux vergers, et de ma tentative de fromage sur la plage de Marahau où devons de toutes façons être présents à huit heure et demi pour notre journée de kayak guidée.

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Kahurangi et Abel Tasman

Après un bon repas matinal, nous trouvons les locaux de Abel Tasman Kayak, la compagnie avec laquelle nous avons réservé notre journée. Hamish et Enora, nos guides nous attendent. Nous patientons encore un quart d’heure le temps qu’un groupe de huit personnes de diverses nationalités nous rejoigne. Après une explication du fonctionnement des kayaks et une répétition des gestes à avoir en cas de retournement de l’embarcation, nous sommes conduits en direction de la plage et partons, sous les rayons encore rasants mais déjà chauds du soleil, en direction des côtes du parc national. Notre guide nous raconte quelques anecdotes sur les oiseaux rencontrés, cormorans, fou austral, huitriers… et nous explique les origines des noms très recherchés des baies alentour. Coquille bay a été nommée ainsi par un français qui y trouvait beaucoup de coquillages, Apple tree bay où l’on trouvait quelques pommiers avant la fondation de la réserve en 1952… Nous esquivons une zone de ski nautique avant de nous échouer sur une plage d’Adèle Island, nommée ainsi par le capitaine Dumont d’Urville d’un navire en l’honneur de sa femme, où nous sommes régalés d’un bon jus de pomme et de cookies qui nous paraissent d’un luxe exquis alors que les cigales, les bellbirds et les tuis forment un mélodieux fond sonore. Nous repartons ensuite vers le nord de l’île et observons quelques phoques à fourrure qui se reposent sur les rochers. Ensuite, direction la côte que nous longeons jusqu’à Observator bay où nous pique-niquerons pour le midi d’un duo de wraps tout à fait corrects et d’un gâteau au chocolat, nappé de chocolat, fourré au chocolat… comble de cette journée de luxe ! Nous marchons ensuite avec Hamish à l’ascension d’une colline pour admirer le petit havre d’anchor bay alors que le gros des troupes est resté sur la plage à imiter les phoques vus plus tôt dans la journée. Puis nous repartons à marée haute pour longer la côte sur le retour avant de nous engager dans un estuaire parsemé de hauts fonds jusqu’à un parking où les kayaks sont récupérés par un minibus qui nous ramène à la base d’ATK. Là je retrouve mon ordinateur rose que j’avais confié à l’accueil afin de le recharger et nous prenons une douche salutaire avant de remplir notre réserve d’eau en prévision des jours à venir. Nous reprenons la nationale six et passons quelques lacets en direction du nord pour camper dans la vallée de Takaka, non loin des randonnées du lendemain.

L’alarme de mon téléphone sonne à 8 heures. La journée promet déjà d’être chaude et le petit déjeuner, qui se fait de plus en plus sophistiqué, s’éternise jusqu’à dix heures. Ayant mal calculé notre coup, il nous faut une heure de route pour atteindre le départ de la grosse rando du jour qui nous emmènera pendant trois heures entre une forêt à l’ombre bienveillante, aux chants de cigales et aux parfums de pins, et des plages de sable doré, cernées de rochers sombres… Pour un peu, l’on se croirait en fin d’avril dans une côte méditerranéenne préservée et idyllique, s’il n’y avait quelques sylverferns arrogantes perçant la canopée résineuse et le détail qui me perturbe depuis mon arrivée dans ce pays, le soleil au nord ! Nous marchons ainsi jusqu’à séparation point, une avancée rocheuse séparant la baie de Tasman de la golden bay, sur laquelle les locaux ont placés des hauts parleurs diffusants les bruits d’une colonie de fous australs et quelques répliques en terre cuite de ces oiseaux afin de les convaincre d’installer leur nids ici plutôt que sur la côte sablonneuse instable de Farewell Split. Les intéressés, pas aussi fous que leur nom ne pourrait le faire croire, ne sont pas dupes et nous n’observerons rien de plus original que quelques cormorans et un duo de phoques qui nageront quelques instants devant nous. Nous repartons pour les trois heures de retour, pénétrons dans la voiture sentant la pomme cuite par le soleil et je conduis en direction de la courte promenade suivante qui nous amènera dans une forêt plus verte et plus fraiche en direction d’une cascade du nom de Wainui Falls, qui aura eu la délicatesse de creuser un bassin dans lequel la baignade est un régal. Rasséréné par la fraicheur du cours d’eau, nous repartons en voiture et longeons les pâtures de la golden bay vers le nord jusqu’à un parking jonché des restes de feux de camps, situé juste à côté d’une colonie d’huitriers pie tapageurs, et d’un gisement de salicornes dans lequel je me ferais un plaisir de piocher.

Après une nuit bercée par nos voisins piailleurs, nous partons sous un ciel nuageux à la découverte de Wharariki beach, une plage orientée ouest dont le fin sable blanc vient se heurter à de sombres massifs rocheux, puis nous suivons un sentier qui nous fera longer la ligne de crête des collines alentour, à travers les pâtures des moutons, le long de falaises à la normande, puis à travers un maquis auquel manque le parfum du thym, à la découverte de Cape Farewell, le point le plus septentrional de l’île, et de Farewell Split, impressionnant banc de sable de plus de 30 kilomètres de long, au bout duquel s’abritent de nombreux oiseaux tels les fous australs ou les barges rousses, loin de toute perturbation humaine. Nous retournons ensuite sur la plage pour feignanter quelques heures pendant lesquelles je cherche à me figurer la façon dont j’explorerais l’ile du nord, avant de retourner sur le parking de la nuit précédente, battu par un vent d’est amenant les nuages du Pacifique. Le lendemain, nous redescendons en direction de Takaka pour un arrêt à Waikoropupu springs, les sources les plus grandes d’Océanie avec un débit de 11 mètres cubes par seconde crachant les eaux les plus claires du monde après celles d’une autre source située en Antarctique. Les maoris considèrent cet endroit comme le lieu de résidence d’une déesse qui parcoure le monde afin de nettoyer toutes les eaux qui ont été souillées par le contact avec la terre rouge qui serait le sang que le ciel, père de toutes choses, aurait perdu lorsque ses enfants auraient arraché la Terre Mère de ses bras afin de laisser la lumière tomber sur le monde. L’explication plus terre à terre de cette clarté s’expliquerait par le fait qu’après être tombée sur les montagnes environnantes, l’eau mettrait plus de dix ans à retrouver le chemin de la surface en traversant les couches minérales qui la filtrent pendant tout ce temps. Nous admirons un peu les fonds azurs de ces sources que la lumière nuageuse rends impossible à restituer légitimement sur nos photos avant de repartir au sud, à l’assaut de Takaka Hill au sommet de laquelle nous longerons 11 kilomètres de piste et traverseront le festival hippie des luminates avant de nous enfoncer dans une forêt monospécifique de hêtres australs dans un gris irréel tant la lumière est ternie à la fois par les arbres et les nuages, pour admirer le gouffre de Harwood Hole. Je conduis sur le retour en priant pour que Bellbird, qui crie famine depuis quelques temps nous emmène au moins jusqu’au bout de la piste. Finalement, j’arriverais même à descendre de la colline sans utiliser l’accélérateur et à nous conduire jusqu’à la première station-service de Motueka pour faire le plein avant de partir en direction de Nelson.

Kahurangi et Abel Tasman
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Eh oui! J'ai finalement baptisé Bellbird! Pas de jaloux, il y a un peu de toutes vos suggestions dans ce nom. Espèce locale, s'inspirer d'un oiseau comme pour le titre du blog... C'est juste que la couleur de l'oiseau m'a rappelée celle de van alors je me suis dis que ça collait plutôt bien

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T
Eh bien, Axel, cette fois l'aventure a vraiment commencé, entre travaux bizarres, kiwis pittoresques et hauts en couleurs, et toujours cet extraordinaire pays, ce concentré de beautés naturelles... Ta narration prend de l'ampleur, devient un vrai récit de voyage... peut-être un jour, au-delà de la forme "blog", pourras-tu, si tu en as l'envie (et le temps), lui donner une forme plus "littéraire", encore plus développée... Certains grands écrivains voyageurs ont commencé ainsi. En attendant, profite de la route qui s'ouvre à toi. A bientôt !
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